Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITORIAL

Le recrutement, un art délicat

 

Frédéric SPINHIRNY

Directeur Affaires Médicales, Recherche et Innovation, du CHU de Tours

Philosophe - Dernier ouvrage paru, Les caractères aujourd'hui,
Editions Payot, novembre 2022

A priori, l'intelligence artificielle n'ira pas sur le terrain du recrutement du personnel hospitalier. Bien entendu, le degré zéro de l'appariement entre un poste vacant et un(e) candidat(e) peut se faire d'une manière sommaire en cochant simplement les cases du CV qui correspondent au diplôme requis et à quelques éléments d'expériences techniques. Cependant il faut dire que le recrutement est d'abord une affaire de relations humaines, quelle que soit l'expertise utilisée. En effet, rencontrer une personne qui se présente à un poste relève de ce que l'économiste Lucien Karpik nomme l'économie des singularités. Il existe à ce titre des difficultés à déterminer la meilleure demande par rapport à l'offre et ce, en fonction d'un grand nombre d'asymétries d'information. La personne qui postule, vous a transmis son CV, vous raconte son parcours mais vous ne la connaissez pas vraiment. Surtout, en entretien, il vous est quand même difficile de « mettre en situation ». Que ce soit pour le personnel soignant, médical ou de direction. Il y a une réelle incertitude sur la qualité, sur l'authenticité et l'originalité de la personne. Par ailleurs, le management est une compétence difficile à évaluer, le recrutement de managers est donc une économie particulière, notamment à l'hôpital. Comme pour choisir un bon film ou un bon restaurant, nous avons des manières de limiter les asymétries d'information : recours aux classements, guides ou rapports d'experts, labels, réputation professionnelle, réseaux. Nous nous engageons donc dans ce qui relève de l'informel, donc loin de l'expertise scientifique ou de l'objectivité. Dans certaines organisations, se met en place un circuit de recrutement plus professionnel qui se base sur des outils à la fois classiques et parfois novateurs : analyse du CV, mises en situation, composition d'un jury de sélection hétérogène, le réseau qui reste outil ambivalent, l'évaluation 360° et les tests de personnalité du type SOSIE ou TD-12 pour déceler les tendances dysfonctionnelles marquantes et orienter l'entretien. Car un mauvais recrutement coûte cher, notamment lorsque nous choisissons des managers toxiques. A quand une professionnalisation des cadres supérieurs, des responsables médicaux, des directeurs et directrices ? A quand des tests de personnalité pour les postes à responsabilité ? Si c'est légal, pourquoi tant de réticences ? Sommes-nous encore à l'ère où le diplôme est un blanc-seing pour obtenir automatiquement un poste ? Pour vous accompagner, voici quelques biais cognitifs qui perturbent nos sensations en tant que recruteurs. Faisons le pari qu'en les explicitant, nous puissions limiter leurs effets. Le recruteur est d'abord victime de « l'effet de primauté » : les premières impressions orientent fortement le résultat final. Le recruteur se laisse ensuite influencer par « l'effet de halo » : l'apparence physique du candidat ou de la candidate projette des qualités ou des compétences supposées. Le recruteur ne supporte pas les situations de dissonance cognitive : il y a un malaise lorsque l'entretien contredit les premières impressions. Le recruteur a une « rationalité limitée » : pour prendre une décision définitive, nous ne disposons que d'une petite partie d'informations. Personnellement, le recruteur est victime d'inférences inconscientes : l'apparence d'une personne projette des représentations (sexuelles, ethniques, culturelles, religieuses, sociologiques) qui biaisent son raisonnement. Enfin, le recruteur reçoit une majorité de messages infra-verbaux : le contenu des conversations importe finalement peu sur les mots, le ton, l'apparence, le fait d'être à l'aise, etc. Avec tous ces biais, on pourrait désespérer de faire de bons recrutements. Mais soyons modestes, nous ne pouvons que réduire ces biais en définissant une expertise du circuit de recrutement. Un art délicat donc car profondément humain.

Au sommaireN°175
Octobre 2024

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