Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITORIAL

L’intelligence artificielle, entre promesse d’innovation managériale et risques de gouvernance

Fatima YATIM

Maître conférence

CNAM

L'intelligence artificielle (IA) s'impose peu à peu dans les organisations de santé. Elle réorganise les parcours de soins, fluidifie la circulation de l'information et soutient la décision clinique. Dans la gestion des structures de santé, elle permet d'automatiser les tâches administratives, d'améliorer la planification des ressources et de fiabiliser les processus opérationnels. De l'hôpital à l'EHPAD, ces technologies allègent les contraintes des professionnels de santé et des managers et libèrent du temps pour l'essentiel : le soin et l'accompagnement.

La littérature internationale montre que cette transformation ne repose pas uniquement sur les progrès techniques de l'IA, mais d'abord sur des facteurs humains et organisationnels. L'adoption de l'IA dépend de la valeur ajoutée perçue : gain de temps, réduction de la charge administrative, soutien à la décision. Beaucoup y voient un outil qui renforce leur expertise et une source de reconnaissance professionnelle et d'apprentissage. Mais il existe aussi des freins : peur du déclassement, peur de perte d'autonomie, déficit de formation, méfiance envers les algorithmes ou incertitudes éthiques. Les questions de sécurité des données, de responsabilité et de maintien du lien humain nourrissent la prudence. Ces tensions traduisent une réalité : l'appropriation de l'IA est une question de construction de sens, de confiance et d'accompagnement.

Dans ce contexte, de nombreux managers dans les structures de santé expérimentent l'IA de manière autonome, et parfois hors cadre institutionnel. Ces usages de « technologies fantômes » reflètent un mouvement bien documenté dans la recherche internationale sur l'émergence de pratiques, souvent nées d'intentions pragmatiques d'amélioration du travail, et traduisant un réel appétit d'innovation et une forme d'appropriation ascendante des technologies. Cependant, ces usages soulèvent également des enjeux de gouvernance, d'intégration organisationnelle et de responsabilité. En échappant aux circuits officiels, ils fragilisent la sécurité des données et la cohérence des systèmes d'information, tout en brouillant la traçabilité des décisions. Le manager devient alors un acteur paradoxal : à la fois pionnier de l'innovation managériale et organisationnelle et facteur potentiel de fragmentation. Les initiatives individuelles, si elles ne sont pas reconnues ni encadrées, risquent alors d'alimenter une innovation souterraine et clandestine plutôt qu'une transformation collective maîtrisée.

Les structures de santé doivent alors apprendre à reconnaître ces innovations, les encadrer et les transformer en pratiques légitimes. La littérature sur les usages des technologies fantômes souligne que la répression des usages non officiels est contre-productive : elle pousse vers la clandestinité, accroît la fragmentation des systèmes et affaiblit la confiance. À l'inverse, leur intégration dans un cadre de gouvernance clair permet de canaliser la créativité des managers tout en préservant la sécurité et l'intégration organisationnelle. L'enjeu est de développer une approche proactive de la gouvernance de l'IA : former les managers aux enjeux numériques et éthiques, instaurer des espaces d'expérimentation sécurisés et mettre en place des dispositifs d'identification et d'évaluation des usages émergents. De tels cadres doivent permettre de transformer des pratiques individuelles isolées en leviers collectifs d'innovation managériale et organisationnelle maîtrisée.

Au sommaireN°187
Novembre 2025

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