Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

JURISPRUDENCE

L’accord de méthode dans la fonction publique au filtre du juge des référés libertés

Guillaume CHAMPENOIS

Avocat associé

Houdart & associés

L'accord de méthode prévu par l'article L 222-2 du code de la fonction publique est un accord collectif. Il suppose une négociation et la signature du chef d'établissement et des organisations syndicales représentatives parties à cet accord. Le juge des référés libertés du tribunal administratif de Melun a, par une ordonnance du 23 mars 2022, jugé que rien ne faisait obstacle en droit à ce qu'un accord de méthode prévoit expressément que les membres des délégations syndicales participant à la négociation soient obligatoirement des agents de l'établissement, que le nombre des personnes désignées pour participer à ces délégations ne soit pas égal et enfin à ce que l'ensemble des parties à l'accord de méthode s'engagent à ne pas communiquer pendant tout le temps des négociations et ce jusqu'à ce que l'accord collectif soit signé.


CE 19 avril 2022 N° 462991

TA Melun 23 mars 2022 n° 2202688

La direction du GHEF, établissement public de santé situé en Ile de France, est destinataire d'une demande de négociation d'un accord collectif sur divers items au visa de l'article 8 quinquies de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, aujourd'hui codifié à l'article L 225-1 du code de la fonction publique.

La direction de l'hôpital et les organisations syndicales s'accordent alors pour négocier en premier lieu un accord de méthode prévu au III de l'article 8bis de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 alors en vigueur et par le Décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique a été publié au journal officiel du 8 juillet 2021.

Un projet d'accord de méthode est ainsi établi et soumis aux organisations syndicales représentatives de l'établissement à l'issue d'une réunion.

Sur les 4 organisations syndicales parties à la négociation, 3 signent cet accord de méthode. La dernière organisation syndicale, le syndicat UFAS, conteste le contenu de l'accord et saisit le juge des référés libertés au motif que ledit accord de méthode contreviendrait, selon lui, au droit syndical.

Le syndicat UFAS contestait la licéité de trois dispositions figurant dans l'accord de méthode ;

« chaque organisation syndicale représentative désignera les personnes habilitées à négocier parmi les agents en position d'activité au sein du GHEF . »

«  le nombre de personnes désignées sera au plus égal à la moitié des membres élus titulaires au CTE  »,

«  les parties prenantes s'engagent à ne pas communiquer pendant toute la durée des négociations, sur les échanges et propositions faites pendant les négociations ».

Par une ordonnance en date du 23 mars 2022 rendue sous le numéro 2202688, le juge des référés libertés du Tribunal administratif de Melun a rejeté la requête de cette organisation syndicale.

Le juge des référés libertés du tribunal administratif de Melun a écarté le premier grief tiré de l'illégalité de la clause de l'accord de méthode imposant d'être un agent de l'établissement pour pouvoir participer à la négociation nonobstant la circonstance que le secrétaire du syndicat UFAS requérant était un retraité et donc n'était pas un agent de l'établissement.

Le juge des référés libertés a rejeté ce moyen au motif qu'il ne ressort d'aucun texte que les représentants des syndicats dans les négociations collectives doivent être membres d'une instance dirigeante du syndicat.

«  En premier lieu, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe général que les personnes représentant un syndica t lors d'une négociation collective doivent faire partie des instances de direction du syndicat. Dès lors, la circonstance que l'accord de méthode en cause prévoit que chaque organisation syndicale désignera les personnes habilitées à négocier parmi les agents en position d'activité au sein de l'hôpital, si elle a pour effet en l'espèce d'écarter de la négociation le secrétaire du syndicat requérant, n'apparaît pas manifestement illégale pour cette seule raison dès lors qu'elle n'a pas pour effet d'écarter de la négociation ce syndicat, qui reste libre de désigner le représentant qu'il souhaite au sein des agents en position d'activité. »

Au-delà de cet argument retenu par le juge des référés libertés, on peut également ajouter que cette clause de l'accord de méthode ne contrevenait en rien à la libre administration des organisations syndicales au sens des dispositions de l'article 2 du décret n°86-660 du 19 mars 1986.

En effet, le fait de prévoir que les membres des délégations syndicales mandatées pour négocier un accord collectif doivent obligatoirement être des agents de l'établissement ne contrevient nullement à l'article 2 du décret n°86-660 du 19 mars 1986 qui dispose que « les organisations syndicales déterminent librement leurs structures dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur » et que « la direction de l'établissement est informée, en cas de création d'un syndicat ou d'une section syndicale, des statuts et de la liste des responsables de l'organisme syndical ».

Autrement formulé, il n'est pas opéré ici une ingérence dans la gestion interne des organisations syndicales. Il est opéré une négociation aboutissant à un accord souscrit par trois organisations syndicales sur 4 portant sur le fait que les délégations syndicales qui négocieront avec la direction l'accord collectif seront composées exclusivement d'agents de l'établissement.

Le juge des référés libertés du Tribunal administratif de Melun a également écarté le deuxième moyen soutenu par l'organisation syndicale UFAS relatif au principe de rupture d'égalité découlant de ce que le nombre de personnes désignées sera au plus égal à la moitié des membres élus titulaires au CTE.

« En second lieu il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe général que le nombre des représentants syndicaux participant à une négociation collective doit être le même pour chaque organisation syndicale. Dès lors la stipulation de l'accord de méthode en litige selon laquelle le nombre de représentant désigné par chaque syndicat prenant part à la négociation sera au plus égal à la moitié des membres élus titulaires au comité technique d'établissement, qui est fondée sur la représentativité des syndicats, n'apparaît pas en l'espèce porter une atteinte manifestement illégale au droits et libertés syndicales. »

La direction et les organisations syndicales signataires s'étaient accordées pour que les délégations des organisations syndicales présentent un nombre de représentant qui soit le reflet de la représentativité au sein du comité technique d'établissement.

Au-delà de la motivation retenue par le juge des référés libertés qui n'apparait pas critiquable, la licéité de cette clause découle principalement du fait que nous sommes sur le terrain de la négociation collective. S'il n'appartient pas au chef d'établissement de fixer unilatéralement le nombre de membres des délégations syndicales participant à la négociation d'un accord collectif, le choix concerté et validé par les parties prenantes à l'accord de méthode de calquer le nombre de membres des délégations syndicales en fonction de leur niveau de représentativité dans l'établissement n'a rien d'illicite.

Enfin, le Président du Tribunal administratif a rejeté le troisième et dernier moyen soulevé par l'organisation syndicale afférant à l'engagement réciproque de ne pas communiquer sur les échanges et les propositions faites au cours des négociations pendant toute la durée de celles-ci et ce jusqu'à la signature de l'accord.

L'ordonnance du juge des référés libertés est, sur ce point, motivée comme suit :

« En troisième lieu la stipulation de l'accord de méthode selon laquelle les parties prenantes s'engagent à ne pas communiquer pendant toute la durée des négociations sur les échanges et propositions faites pendant les négociations, qui a pour but de garantir notamment la sérénité et l'efficacité de ces négociations, ne méconnait pas les dispositions des articles 9 et 10 du décret du 19 mars 1986, relatives uniquement à l'organisation de l'affichage syndical et de la distribution de l'information syndicale, et n'interdit pas les échanges sur les négociations en cours au sein des syndicats eux-mêmes. Dans ces conditions, au regard de l'objet et des effets de cet engagement, approuvé par la majorité des syndicats représentatifs, il n'apparaît pas que cette stipulation porte une atteinte manifestement illégale à la liberté syndicale. »

Pour bien comprendre ce considérant, il faut garder à l'esprit que nous sommes sur un accord collectif et donc sur une négociation et non sur une décision unilatérale du chef d'établissement qui s'imposerait aux organisations syndicales. Dès lors que les organisations syndicales signataires sont d'accord pour un tel engagement, lequel s'impose également à la direction, il n'y a pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté syndicale.

La référence aux articles 9 et 10 du décret du 19 mars 1986 découle de ce que le syndicat requérant soutenait dans ses écritures que ces dispositions règlementaires ouvraient le droit d'afficher sur des panneaux réservés à cet usage toute information d'origine syndicale et, d'autre part, sans distinction à toute organisation syndicale, le droit de distribuer aux agents, dans l'enceinte de l'établissement.

Il en déduisait que la clause contestée de l'accord de méthode portait atteinte selon lui à ces dispositions règlementaires. Ce faisant, le juge des référés libertés a ici, à bon droit, jugé qu'un tel moyen était inopérant.

Le syndicat UFAS s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'État.

Par décision du 19 avril 2022 rendue sous le numéro 462991, le conseil d'État a confirmé l'ordonnance du juge des référés libertés et a rejeté le pourvoi de l'organisation syndicale.

L'ordonnance du Conseil d'État confirme le raisonnement juridique retenu par le Président du Tribunal administratif de Melun tout en confortant celui-ci.

« En premier lieu, il résulte de l'instruction menée en première instance que, si la stipulation contestée par le syndicat requérant, selon laquelle chaque organisation syndicale doit désigner les personnes habilitées à négocier parmi les agents en position d'activité au sein de l'hôpital, fait obstacle à ce que soit habilité l'actuel secrétaire général du syndicat requérant, qui est à la retraite, elle n'a pas pour effet d'empêcher ce syndicat de participer à la négociation, dès lors notamment qu'il dispose de représentants élus au comité technique, lesquels sont nécessairement en position d'activité au sein de l'établissement, conformément à l'article R. 6144-53 du code de la santé publique. La stipulation litigieuse, qui n'est manifestement contraire à aucune disposition législative ou réglementaire ni à aucun principe général, et qui n'apparaît pas manifestement étrangère aux buts en vue desquels un accord de méthode peut être conclu conformément aux dispositions rappelées au point 4 ci-dessus, ne peut dès lors être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale.

En deuxième lieu, la stipulation selon laquelle le nombre de représentants habilités à négocier par chaque organisation syndicale est au plus égal à la moitié des membres élus titulaires du comité technique d'établissement, qui ne contrevient à aucune disposition législative ou réglementaire, ne porte pas davantage une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale. Le syndicat requérant ne saurait, à cet égard, invoquer utilement la méconnaissance d'un prétendu principe d'égalité de traitement entre organisations syndicales représentatives dans le cadre des négociations, qui n'a pas d'existence juridique.

Enfin, il était loisible aux organisations syndicales signataires de l'accord de méthode et à l'établissement, sans porter aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale, de s'engager à ne pas communiquer sur les négociations pendant toute la durée de celles-ci, dans le but de contribuer à leur bon déroulement.

Il résulte de ce qui précède que le syndicat requérant n'établit pas que les stipulations qu'il conteste porteraient une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en première instance, pas plus que sur la condition d'urgence, sa requête doit être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du même code. »

Cette ordonnance du conseil d'État librement accessible sur Légifrance et qui vient confirmer l'ordonnance du juge des référés libertés du Tribunal administratif de Melun du 23 mars 2022 est une décision utile pour éclairer tant les organisations syndicales que les directions d'établissement sur les modalités de négociation et de conclusion d'un accord de méthode dans la fonction publique hospitalière. Il en ressort, dans le silence des textes applicables, que les parties à un accord de méthode fixent librement les modalités des négociations à venir dès lors que lesdites parties à l'accord de méthode ne portent atteinte ni à une disposition législative ou règlementaire, ni à un principe général du droit ni à l'ordre public social.

 
Au sommaireN°184
Juillet 2025

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