La question de l'intelligence artificielle (IA) est un des grands thèmes du moment comme vient de le rappeler le congrès international qui s'est tenu récemment à Paris. Après quelques interrogations voire des hésitations des grands acteurs du secteur devant les dangers supposés que cette technologie présenterait pour l'humanité, la course effrénée a repris de plus belle, tant les enjeux économiques, géopolitiques, militaires sont considérés comme incontournables par les grandes puissances, avec en tête les deux principales que sont les Etats-Unis et la Chine.

Mais si l'IA est un sujet majeur dans la course à la puissance et à la domination mondiale, elle l'est aussi à l'échelon national, dans tous les domaines et dans la vie quotidienne des français. Les progrès de l'IA sont tels, à la fois dans leur rapidité et leur ampleur, qu'aucune profession - et notamment intellectuelle - n'est aujourd'hui à l'abri d'une remise en cause voire d'une menace de disparition.

A cet égard, le monde de la santé est en première ligne dans la révolution technologique, politique, sociale et même anthropologique qui s'annonce. On ne compte plus les applications concrètes qui se mettent en place dans de nombreux domaines de la médecine, que ce soit dans des secteurs déjà colonisés depuis longtemps par la technologie (biologie médicale, radiologie, etc.) mais également dans le domaine clinique, où le savoir, l'expérience et le jugement du médecin sont déterminants. Or, il s'avère que les capacités de stockage et d'analyse de l'IA excèdent largement celles du cerveau humain, même le plus brillant, au point qu'elles dépassent les prévisions les plus audacieuses. Il n'est pas un domaine qui puisse résister au rouleau compresseur technologique, y compris ceux dans lesquels l'humain était considéré jusqu'à maintenant comme incontournable.

Depuis toujours, le secteur de la santé, et en particulier l'hôpital s'est construit sur la prééminence des médecins. De tout temps, ceux-ci ont occupé une place centrale dans le système, jusqu'à prétendre à un statut symbolique spécifique au sein du personnel. Ce statut spécifique a d'ailleurs été théorisé par de nombreux théoriciens américains, comme Abbott ou Freidson dans le courant dit de la
« sociologie des professions ». Ce concept de professionnels (médicaux) a été pendant très longtemps une des clés de voûte théoriques pour analyser l'organisation hospitalière. Mais avec l'arrivée de l'IA, et la concurrence qu'elle crée avec les professions médicales, l'édifice théorique et même l'organisation concrète de l'hôpital risquent d'être obsolètes dans un avenir proche.