Connaissez-vous la loi de Brandolini?
Jérôme LARTIGAU
Maître de conférences en sciences de gestion
CNAM
« La quantité d'énergie nécessaire pour réfuter une bêtise est d'un ordre de grandeur supérieur à celle nécessaire pour la produire ». En d'autres termes, l'énonciation d'une contre-vérité, d'une absurdité totale est beaucoup plus facile que d'essayer de la combattre. Cette assertion illustre la situation à laquelle nos sociétés sont confrontées. Elle a été théorisée par un certain Alberto Brandolini, informaticien de son état, et dont la postérité est désormais assurée par sa géniale intuition.
Diffuser une fausse information est rapide, viral et peut s'avérer extrêmement « rentable » ; la contrecarrer demande patience, rigueur, et est coûteux en ressources. C'est pour cette raison que l'on parle d'asymétrie - et en particulier d'asymétrie de la bêtise (ou du bullshit pour rester poli). Cette asymétrie se compose comme suit selon L. Vercueil[1] :
Asymétrie de l'impact : la diffusion assure à la fausse information un impact bien plus élevé que tous les désamorçages qui suivent.
Asymétrie de la rétention mnésique : la trace qu'elle laisse dans la mémoire est bien plus profonde que toutes celles qui viendront ensuite la démentir.
Asymétrie de l'onction : l'individu qui propage les fausses informations bénéficie d'une aura avantageuse tandis que celui qui tente de ramener à la raison joue un rôle bien moins valorisant.
Si la diffusion de fausses informations et de rumeurs infondées voire délirantes a toujours existé et fait partie intégrante du fonctionnement humain, le développement de l'Internet et des media sociaux lui a donné une puissance inégalée, d'autant plus que la diffusion se fait désormais avec une rapidité extrême et potentiellement au niveau mondial. Dans l'univers saturé d'informations dans lequel nous baignons, la puissance des fausses informations est énorme et très difficile à contrer, si encore on arrive à les identifier (ce qui risque d'être encore plus difficile avec l'intelligence artificielle).
Dans toutes les organisations, les dirigeants sont confrontés à ce phénomène[2]. Le réfuter ou le minimiser serait une grave erreur. En effet, si comme nous l'avons dit la diffusion de rumeurs a toujours existé dans les organisations, l'accélération de la puissance technologique a plus que décuplé sa capacité de nuisance. Tel incident survenu dans un service, telle information diffusée par la direction ou par les pouvoirs publics peuvent immédiatement être déformés et amplifiés. Cela peut avoir des conséquences redoutables pour l'image de marque de l'établissement, celle de ses dirigeants, et le fonctionnement de l'organisation. Il est impossible d'empêcher ce phénomène mais il est possible d'y faire face en cultivant un certain nombre de qualités devenues quasiment indispensables pour le manager à l'ère numérique. D'abord, cultiver la pensée critique et le discernement ; qualité d'autant plus marquante dans l'univers informationnel pléthorique actuel. Ensuite, communiquer avec authenticité pour éviter les interprétations et l'alimentation des rumeurs. Enfin, incarner la fonction : être manager n'est pas qu'un titre, des diplômes et un statut, c'est avant tout une posture qui assure la crédibilité.
Notes :
[1] https://www.echosciences-grenoble.fr/communautes/atout-cerveau/articles/la-loi-de-brandolini-ou-le-principe-d-asymetrie-du-baratin-un-defi-pour-les-scientifiques
[2] Nous parlons évidemment des dirigeants intègres qui ne se prêtent pas eux-mêmes à cet exercice



