Connaissez-vous l’expression « FOMO » ?
Jérôme LARTIGAU
Maître de conférences en sciences de gestion - CNAM
Connaissez-vous l'expression « FOMO » ? Peut-être pas mais vous connaissez sûrement une personne qui est atteinte de ce syndrome. Et peut-être cette personne c'est vous-même !
De quoi s'agit-il ? L'expression FOMO est un acronyme américain qui signifie « Fear Of Missing Out » ; autrement dit, la peur de rater quelque chose, qu'il s'agisse d'événements avec peu d'enjeux tels qu'une soirée, un événement culturel, une tendance, ou d'événements avec de plus forts enjeux tels qu'un nouvel emploi ou une promotion professionnelle. Le phénomène a été identifié pour la première fois par l'essayiste et entrepreneur américain Patrick McGuinnis [1]. Il daterait selon lui d'une vingtaine d'années, et en particulier depuis les attentats du World Trade Center. Après des décennies de tranquillité et de sécurité, les attentats et le terrorisme auraient fait prendre conscience de façon fracassante aux individus des sociétés modernes de la précarité de la vie humaine et partant, auraient nourri une frénésie de vivre et de ne rien manquer. Ce phénomène, que l'on pourrait traduire par « anxiété de ratage », est décrit par certains comme une phobie sociale, d'autant plus inquiétante qu'elle se nourrit de l'utilisation croissante de l'internet et particulièrement la surcharge informationnelle induite par les médias sociaux. En effet, si l'angoisse de rater quelque chose a certainement toujours existé, elle a explosé avec l'avènement des posts et stories des médias sociaux. L'individu est ainsi sans cesse confronté à l'expérience des autres et ne peut s'empêcher de comparer ses propres expériences, ce qui crée inévitablement un sentiment de frustration.
Comment le syndrome FOMO se traduit-il concrètement ? D'abord par le besoin de rester connecté en permanence ; et comme nous l'avons vu, le flot d'information permanent véhiculé par les boîtes mail, les messageries instantanées, les médias sociaux, les radios et chaînes de télévision en continu, joue un rôle majeur. Ensuite par un désir d'ubiquité, d'être partout à la fois, forcément impossible à satisfaire. Enfin par le manque de concentration induit justement par la connexion permanente.
Dans le monde professionnel, il se manifeste chez les cadres et dirigeants par le fait d'être en permanence « connecté » et réceptif aux diverses sollicitations (innombrables courriels internes, invitations à divers événements, information pléthorique issue du monde extérieur, etc.), ce qui mène bien évidemment à une surcharge informationnelle et un stress accru. Il se manifeste aussi chez les autres salariés, dans leur vie privée bien sûr mais aussi dans leur vie professionnelle. Le candidat à un poste qui ne se présente pas au dernier moment (sans toujours prévenir) parce qu'il a sans doute trouvé mieux, l'agent qui se sent mal considéré parce qu'il pense que l'herbe est plus verte ailleurs, celui qui finit par avoir des velléités de départ, et en définitive tout ce qui crée cette instabilité permanente... ne serait-ce pas la manifestation du syndrome FOMO ?
Dans tous les cas, et d'ailleurs McGuinnis le montre bien, l'immense étendue des choix à laquelle est exposé l'individu moderne - avec bien sûr l'effet démultiplicateur des technologies de l'information - conduit inévitablement à une anxiété et une angoisse profonde, au point de mener à une crise civilisationnelle.
Alors existe-il une solution à ce « mal » ? Selon l'auteur, c'est la prise de décision. Prioriser ses choix, évaluer les coûts et bénéfices de ces choix, tels seraient les remèdes. Et peut-être aussi mettre en pratique un autre acronyme : JOMO ou « Joy Of Missing Out » !
Notes :
[1] McGuinnis P. (2020), Fear Of Missing Out : Practical Decision Making in a World of Overwhelming Choice, Sourcebooks.