Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITORIAL

Le nouveau paradigme du clivage

 

Jérôme LARTIGAU

Maître de conférences en sciences de gestion

CNAM

Pour celles et ceux d'entre nous qui ont commencé leur vie adulte dans les années 1990 (dont le rédacteur du présent éditorial), la situation qui nous est donnée à voir dans l'ensemble du monde et aussi dans notre pays offre un contraste saisissant avec celle que nous avons connue. Alors que cette période ouvrait des perspectives de détente, d'ouverture et de paix, celle dont nous sommes les témoins aujourd'hui se caractérise par le recul des démocraties, le retour des régimes autoritaires et des empires, les guerres ou les conflits plus ou moins ouverts, le non-respect des règles élémentaires du droit international et pour alimenter tout cela, une communication agressive visant à intimider et imposer son point de vue. En France, même si la situation reste encore peu comparable avec celle que l'on peut voir au niveau mondial, il n'en reste pas moins que le champ politique et même l'action publique se caractérisent par une certaine forme de brutalisation. Le champ lexical volontiers guerrier utilisé par certains (ex. : "nous sommes en guerre"), la dramatisation du discours (ex. : sur la dette publique), vise d'abord à créer un état de sidération et de peur, propice à l'acceptation des mesures annoncées.

Nous assistons ainsi à un changement de paradigme : loin de vouloir rassembler largement et d'assurer la concorde générale comme il était habituellement admis - sinon par philanthropie, mais au moins pour s'assurer d'un vaste soutien - l'action des responsables publics tend au contraire vers une polarisation accrue. Le nouveau paradigme est celui du clivage. Or, comme le montre A. Boulègue sur le site Xerfi Canal, cliver n'est pas une faute ou une maladresse, mais bien une stratégie délibérée pour conquérir et conserver le pouvoir. Comme le dit l'auteur, " cliver n'est pas un accident, c'est un choix stratégique majeur pour qui veut exister dans un environnement saturé. Ceux qui maltrisent l'art du clivage imposent leur grille de lecture au monde, contraignent à la prise de position, façonnent les identités collectives, et transforment l'opinion en puissance. Dans la compétition des récits, ce n'est pas celui qui rassemble qui gagne, mais celui qui oblige à se positionner ". La force de cette stratégie est de mobiliser les affects, cristalliser les émotions. Et, comme l'avait démontré Damasio(1), l'être humain, avant d'être rationnel, est avant tout émotionnel.

Peut-on transposer cette démarche dans le domaine du management des organisations, et singulièrement des organisations de santé ? Vaste question ! Nous serions tentés de répondre par la négative, dans la mesure où - la théorie et la praxis s'accordent sur ce point - une organisation qui fonctionne harmonieusement est en général plus efficace. Cependant, de par leur activité et contrairement à d'autres types d'organisation, les organisations de santé accordent une place démesurée aux émotions et sont donc a priori réceptives aux narratifs clivants, d'autant plus aisément quand il faut désigner un ennemi imaginaire comme "l'Administration"...


Notes :

(1) Antonio Damasio (1995), L'Erreur de Descartes, la raison des émotions, éditions Odile Jacob.

 
Au sommaireN°185
Septembre 2025

Newsletter de Santé RH

Inscrivez-vous et soyez informé de nos nouvelles parutions et de l'actualité de notre site