Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITO

Qui incarne le non-sens ?

 

Frédéric SPINHIRNY

Directeur des Affaires Médicales du CHU de Tours

Philosophe - Dernier ouvrage paru, Les caractères aujourd'hui, Editions Payot, novembre 2022

Nous avons de la chance à l'hôpital, notre mission est reliée à « un contenu de vie » pour reprendre l'expression lumineuse de Georg Simmel. Nous venons pour soigner, ou pour aider les soignants à soigner. C'est simple, et la finalité de cette mission est facilement observable avec les patients. Pourtant on y voit plus vraiment clair. Ressentir l'absurdité est une expérience complexe, quoique quotidienne. On accuse souvent la place des outils qui remplace celle des relations humaines. Allez, mettons, la bureaucratie qui est, rappelons-le, liée à la taille des organisations mais aussi à l'aversion pour le risque. Et non à la nature publique ou privée de l'activité[1]. Le coeur de la perte de sens réside dans cette évolution subtile mais profonde des rapports sociaux. Tout en étant engagé dans une activité plus dense, l'hospitalier voit son environnement de travail transformé par des relations neutres et impersonnelles, qui prennent concrètement la forme de tableaux, de critère d'évaluation, de protocoles, de manuel de certification, d'accréditation, mais aussi de chartes, et simplement de discours. Cela est quasiment invisible car accepté comme une « modernisation », voire un gage de sécurité. Pourtant, on ressent que c'est absurde. On s'en convainc. Dit autrement, l'appréhension de la réalité par un média neutre et théorique, assombrit l'activité de soin plus qu'elle ne l'éclaire. Mais il y a un peu plus que cela quand même. On en vient à accuser des outils qui nous servent bien par ailleurs. Il faut alors aussi affirmer que les évolutions ont été incarnées par des personnes qui en ont accompagné les effets. Des personnes dont les caractères correspondaient aux valeurs exigées par l'esprit de l'époque. On peut penser aux managers, qui orientent les organisations vers un nouvel objectif plutôt que de respecter l'initial (rentabilité immédiate ? prévention ? suppression des activités non rentables ? partage avec le privé ? multiplication du formalisme pour des raisons de visibilité publique, snobisme culturel valorisé dans les milieux décisionnaires, etc.). Mais aussi celles et ceux qui ont privilégié un style de vie concentré sur un travail acharné, réduisant les possibilités d'équilibre avec la vie personnelle. Par ailleurs, une seule personnalité difficile peut exercer un pouvoir néfaste sur un collectif en ne dévoyant qu'une seule règle pourtant très simple. C'est dire le poids de la qualité relationnelle au-delà des outils, des normes, etc. A l'inverse aujourd'hui, et comme pour se démarquer d'une période où l'organisationnel était prépondérant, on cherche les figures qui incarnent à nouveau le sens au travail. Soit dans son acception d'orientation constructive pour déterminer un nouveau cap pour les années post-Covid : c'est notamment l'engouement pour le leadership, les personnalités charismatiques. Soit dans sa définition managériale, à savoir les personnalités vertueuses formées et recrutées pour diminuer l'influence des personnalités toxiques et pour asseoir un management véritablement participatif, dont le coeur est finalement de redonner du temps long aux équipes[2]. Le temps long c'est le sens commun. Pas l'absurde.

Notes :

[1] David Graeber, Bureaucratie, Les liens qui libèrent, 2015

[2] Cahier technique de la FHF pour un management participatif, Commission RH FHF, Héloïse Haliday, février 2023

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